« Nous lisons l’Evangile dans les mosquées » : les organisateurs de la rencontre islamo-chrétienne à Saint-Sulpice se défendent

 La rencontre avec des musulmans organisée le 6 février dans l’église Saint-Sulpice avait provoqué une vive controverse parmi les catholiques. Efesia, l’association organisatrice, a demandé à pouvoir répondre aux accusations dont Famille Chrétienne s’était fait l’écho.« Efesia s’inscrit résolument dans la culture de la rencontre telle qu’elle a été constamment développée par le concile Vatican II, puis par les papes Jean-Paul II, Benoît XVI et François, de la rencontre d’Assise en 1986 aux encycliques successives jusqu’à « Fratelli tutti » et au « document sur la fraternité humaine pour la paix et la coexistence mondiale » d’Abu Dhabi de Sa Sainteté le Pape François et du Grand Imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb. Pour nous, cette culture résulte directement des attitudes de Jésus envers celles et ceux qu’il croisait. Dans notre monde tragiquement fracturé, elle est nécessaire pour construire la paix. Efesia développe la rencontre entre chrétiens, au sein de ses communautés en Europe et en Afrique, la rencontre avec les Musulmans Ensemble avec Marie et la rencontre avec les pauvres (au travers de projets sociaux menés par les bénéficiaires eux-mêmes)Ni syncrétisme ni prosélytisme ni relativisme : nous sommes convaincus que pour rencontrer l’autre, il faut s’ancrer dans sa propre foi. Efesia est ancrée dans l’Eglise et veille à se tenir en union avec le Magistère. Elle dispose de statuts d’association de fidèles de droit diocésain délivrés par l’évêque de Créteil, ses dirigeants se rendent régulièrement au Vatican et y trouvent des encouragements dans leur action, y compris de Sa Sainteté le Pape en personne lors de la visite du 2 mars 2022.Nous savons qu’entre la doctrine musulmane et notre foi, il y a des divergences fondamentales, irréductibles, et nous ne voulons pas le gommer. Ce serait trop facile, au prix de graves confusions ou de lâcheté intellectuelle de « faire semblant de penser pareil ». Mais nous ne voulons pas non plus, comme certains en font profession pour circonscrire leur territoire, nier les points qui nous rapprochent. C’est pourquoi nous plaçons nos rencontres sous l’égide de Marie, vénérée et aimée dans les deux spiritualités. Nous savons bien que l’histoire de Marie n’est pas racontée de la même manière dans le Coran et dans les évangiles, mais en profondeur, cette ouverture inconditionnelle à l’imprévu de Dieu, qu’incarne la vierge Marie est une lumière partagée qui nous guide. Doit-on le nier pour le plaisir d’aggraver les clivages ? ou partager avec joie ce qui nous rapproche ?La rencontre sincère exclut, de notre point de vue, toute arrière-pensée de prosélytisme. Nous témoignons de notre foi, nous proclamons l’évangile, mais seul Dieu choisit de convertir et Dieu seul nous jugera sur nos actes de charité (« j’étais nu et tu m’as habillé… »). Et sur ce critère, je crains de voir bien des Musulmans me précéder… De fait, nous constatons que rencontrer les musulmans renforce notre foi catholique.La grande rencontre « Ensemble avec Marie » entre Chrétiens et Musulmans qui s’est déroulée en l’église Saint-Sulpice de Paris le 6 février a suscité un certain nombre d’interrogations dont le site de Famille Chrétienne s’est fait l’écho. Pour certain(e)s de nos sœurs et frères catholiques, ces rencontres posent des questions au regard du sacré. Peut-on rencontrer des Musulmans dans une église ? Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, mais nous pensons sincèrement, en accord avec le Magistère, que Dieu se réjouit de voir ses enfants séparés, de bonne volonté, se réunir dans sa maison. Nous ne pouvons pas prier ensemble, mais nous pouvons être ensemble pour prier.Ces rencontres se font aussi bien dans les mosquées que dans les églises ou d’autres lieux. Oui, nous lisons l’Evangile et nous chantons le « Notre Père » à pleine voix dans les mosquées ! Ainsi, nos frères musulmans ont-ils, à Saint Sulpice, lu la « Fatiha », sourate d’ouverture du Coran, qu’ils répètent chaque jour dans leurs prières. Ce texte de louange à Dieu n’a rien de choquant pour un chrétien ; Il est exact qu’à la fin, il est question de « ceux qui encourent la colère d’Allah » et des « égarés ». M. Marc Fromager, dans les colonnes de Famille Chrétienne, y voit « une sentence extrêmement méprisante à l’égard des juifs et des Chrétiens ». C’est tout simplement faux, pour la bonne raison qu’elle a été composée à La Mecque, à une époque où Mohamed n’avait pas encore eu de rapports avec les communautés chrétiennes et juives, juste des rapports très positifs avec quelques individualités chrétiennes. Pour tous les organisateurs, ce verset se réfère avant tout au combat spirituel de tous les musulmans qui sont tentés par Satan de s’égarer, ou pire, de se révolter, interprétation classique et ancienne. Ce sont les djihadistes musulmans qui interprètent la Fatiha de la manière de M. Fromager.L’extrait de la sourate III « La famille de ‘Imran » qui, de même, a été lue, relate l’Annonciation en des termes différents de ceux de Luc (I, 26-38) mais dans un esprit très proche. Pour ces lectures, le curé de Saint Sulpice avait pris soin d’ôter l’ambon, afin qu’il soit clair que pour les Chrétiens, il ne s’agissait pas de la Parole de Dieu.D’autres préoccupations ont été entendues : par exemple, doit-on laisser le Saint-Sacrement dans le tabernacle au cours de ces rencontres? Il nous semble que le retirer aurait pour les Chrétiens un goût de reniement : alors que tout un chacun, fût-il athée antireligieux acharné, peut librement parcourir une église en présence du Saint-Sacrement, nous camouflerions notre croyance en la présence réelle quand nous prions en présence des Musulmans ?Enfin, Efesia peut-elle apporter sa pierre, si modeste soit-elle, à la pacification des antagonismes au sein de l’Église ? Peut-on, entre sœurs et frères chrétiens éloignés nous rencontrer dans le respect des convictions de chacun ? Il serait paradoxal que nous réussissions cette ambition avec les Musulmans qui sont tout de même doctrinalement loin de nous, et que nous n’y parvenions pas avec nos coreligionnaires qui pensent différemment de nous ! Nous sommes disponibles pour nous rencontrer. »Contact : contact@efesia.orgJean-René BrunetièreLire l’article